25 novembre 2015 : cérémonie du souvenir des rafles du 25 novembre 1943

Discours du président de l'Université de Strasbourg prononcé le 25 novembre 2015 lors de la cérémonie du souvenir du 25 novembre 1943.

Seul le prononcé fait foi.

 

Monsieur le Secrétaire général de la Préfecture représentant le Préfet de la Région Alsace, préfet du Bas-Rhin,

Monsieur le Recteur de l’Académie de Strasbourg, chancelier des universités d’Alsace,

Mesdames et Messieurs les représentants des collectivités (M. Le Tallec, Mme Françoise Buffet),

Monsieur l’Administrateur de la BNU,

M. le Directeur du CROUS,

Mesdames et Messieurs les représentants des établissements associés,

Mesdames et Messieurs les présidents honoraires et vice-présidents de l’université de Strasbourg,

Mesdames et messieurs les témoins  du drame que nous commémorons ; je salue en particulier Messieurs Amoudruz, Mariotte, Danjon, Utz, et surtout Francine Waitz et la famille d’Adelaïde Hautval, et tous les témoins de cette période qui nous ont rejoints aujourd’hui,

Chères familles de celles et ceux dont nous honorons la mémoire,

Madame la Directrice du centre européen du résistant déporté

Madame la Présidente de l’association des portes drapeaux des associations patriotiques des porte-drapeaux des associations patriotiques du Bas-Rhin, Messieurs les Porte-Drapeaux

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Chers étudiants, (en particulier les enseignants et les étudiants de la faculté de médecine)


C’est avec une profonde émotion que j’ouvre cette cérémonie qui commémore les évènements de 1943. Nous la débutons ici, dans cette Aula qui porte le nom de Marc Bloch. Si nous avons choisi de lui donner ce nom, c’est pour nous rappeler, pas seulement une fois par an, mais bien chaque fois que nous réunissions ici ou traversons cet espace, pour nous rappeler donc le souvenir de cet homme qui, avec exigence et force, a mis tant d’espoir dans les valeurs de notre institution, en défendant la liberté et la recherche de la vérité. Il y a 71 ans, il a sacrifié sa vie pour défendre ces valeurs, et tombait le 16 juin 1944 sous les balles de la Milice.

La liberté, ce fut aussi le combat tenace et obstiné de Jean Cavaillès, maître de conférences de logique et de philosophie générale à l’Université de Strasbourg à la veille de la guerre, mort fusillé un an plus tôt, le 17 février 1943.

Ce Palais où nous nous trouvons a été fortement marqué par cette douloureuse période. Qui d’entre nous n’a pas été heurté par les images montrant ce palais, décor théâtralisé de la propagande nazie ! Tandis que notre université résistait à Clermont-Ferrand, le régime nazi faisait en ces lieux démonstration de force et de domination. Ces oriflammes et ces claquements de bottes ont souillé l’idée même d’université, et en ont bafoué les valeurs.

Furieux de ne pouvoir asservir l’université de Strasbourg qui refusait de se fondre dans la Reichsuniversität officiellement créée en 1941, le régime démoniaque s’en est alors est pris à l’Université résistante. Il a d’abord déchainé sa violence sur les étudiants : dans la nuit du 24 au 25 juin 1943, 37 étudiants furent arrêtés au foyer universitaire de la Gallia en représailles à l’exécution le 24 juin de deux membres de la Gestapo. Ces étudiants furent déportés.

Le 25 novembre de la même année, le régime nazi commit une deuxième rafle de grande ampleur, c’est elle que nous commémorons aujourd’hui.

Mesdames et messieurs, cette cérémonie, acte de mémoire et de recueillement, se veut surtout profondément symbolique. Par les symboles qu’elle convoque, elle fait honneur aux étudiants, aux enseignants, aux personnels de l’université qui ont porté au plus haut les valeurs de liberté et de dignité. Cette cérémonie nous rappelle jusqu’où ils se sont engagés ; elle nous rappelle surtout à la fidélité à leur mémoire. Nous devons tous veiller à préserver et à faire vivre ce précieux don qu’ils nous ont fait, souvent au prix de leurs vies.

Cette cérémonie était, jusqu’à présent, le seul moment institutionnel où nous rappelions, avec honneur, avec fierté, ce passé glorieux. Nous étions fiers d’évoquer une fois par an ces valeurs de courage, de résistance. Nous pensions que les leçons du passé étaient comprises, et que jamais plus ça n’arriverait. Oui, ces valeurs humaines fondamentales que nous célébrons chaque 25 novembre nous paraissaient tellement évidentes et tellement irréversibles.

Et voilà ce funeste 11 janvier 2015, et les meurtres de Charlie, voilà cette odieuse agression contre nos libertés les plus fondamentales, la liberté d’écrire, de dessiner, de penser. Il était donc légitime, logique, indispensable que l’université de Strasbourg réagisse, collectivement et avec force, parce qu’elle était directement agressée dans ses valeurs fondamentales. Car l’université dépend totalement de la liberté d’enseigner, d’écrire, de penser. Oui, l’université de Strasbourg, titulaire de la médaille de la Résistance, se devait d’être présente, car elle avait déjà payé de son sang pour que plus jamais l’intolérance ne nous dicte nos vies. En ce mois de janvier notre réaction, votre réaction fut assurément admirable, solidaire, forte.

Mais ne pensions-nous pas que jamais cela ne pourrait se reproduire ? Et voilà que l’histoire balbutie, et que l’horreur se répète, s’amplifie même ce 13 novembre. Des massacres aveugles, au nom d’une idéologie dégradante, proprement inhumaine, c’est à dire contraire à toute humanité.

Il y a eu 131 étudiants déportés le 25 novembre 1943. Cruauté des chiffres, pratiquement le même nombre de morts sont à déplorer le 13 novembre 2015. Mais il y a un parallèle bien plus profond, au delà du symbolisme des nombres. Car cette terrible nuit du 13 novembre, ce fut bien le retour de la même horreur, de la même intolérance, du même fanatisme qu’en 1943. C’est le même vol noir des corbeaux qui est revenu sur la plaine…

Et donc la question qui se pose aujourd’hui à nous, ici et maintenant, est bien celle qui s’est posée à nos camarades exilés à Clermont il y a plus de 70 ans. C’est la même question ! « Comment résister, comment tenir, comment rester debout ? ». Car soyons clairs, ce n’est pas seulement l’université qui a été agressée ce 13 novembre, c’est notre pays tout entier, c’est un mode de vie, une liberté de pensée et d’agir qu’on a voulu annihiler.

Alors, il y a un mot clé de cette cérémonie, de notre cérémonie du 25 novembre qui prend aujourd’hui toute son importance. Ce mot figure sur la médaille dont est décorée l’université de Strasbourg, ce mot c’est « résistance » ! Oui, résister par la culture, résister par le savoir, c’est là la leçon de notre singulière histoire universitaire. Résister, à l’image de Marc Bloch, de Jean Cavaillès, mais aussi des médecins dont nous évoquons plus particulièrement cette année le souvenir. Résister donc à l’image d’Adélaïde Hautval, Juste parmi les nations, résister, à l’image de Robert Waitz, qui a mérité ce titre, à la beauté paradoxale, de « Juste Juif ». Comme le disait le grand hématologiste Jean Bernard à propos de Robert Waitz « il faut perpétuer le nom d’hommes comme Robert Waitz qui, pendant l’atroce nuit de l’hitlérisme nous a aidés à croire au matin, et qui, dans les heures de désespérance, nous a aidés à combattre, non seulement pour être des martyrs mais pour être ce que nous sommes »

Oui, c’est bien cela résister. Résister, ça ne veut pas seulement dire se battre. Comme universitaire, résister, c’est mettre à la fois notre savoir et notre humanité au service de l’autre.

Marc Bloch nous l’avait dit, nous devons chercher la vérité, et surtout pas la vengeance. Alors cette recherche de la vérité, utilisons là aujourd’hui come une arme contre la barbarie, une arme mortelle, un arme de destruction massive des préjugés, des intolérances et des fanatismes

Chers amis, chers camarades, préserver la liberté, défendre l’humanisme, cela est et restera toujours d’actualité. Quand elles nous sont données, ces valeurs humaines fondamentales nous paraissent tellement évidentes et tellement irréversibles! Mais l’actualité, la cruelle actualité nous montre aujourd’hui qu’il faut chaque jour les rappeler, les défendre, les nourrir.

Mais il n’y a pas que la terreur ou la barbarie à combattre. Dans un monde qui doit faire face à de nouveaux défis, qui cherche de nouveaux modèles de développement, les égoïsmes, les réflexes de repli sur soi et de refus de la différence resurgissent comme de vieux démons. Ils sont le terreau des attentats, des extrémismes ; c’est donc aussi, c’est donc surtout sur cette barbarie du quotidien que doit porter notre action d’universitaires, par la recherche, par la formation, par le débat, ici, dans nos murs, mais aussi partout dans la Cité.

Contre ces démons, nos aînés se sont levés, pour signifier haut et fort qu’ils refusaient de leur céder. Ils ont cru, au plus profond de leur être, que la liberté justifiait leur infinie patience, leur engagement total, et jusqu’à leurs terribles souffrances. Alors quand le vent de la liberté s’est levé pour s’ouvrir sur un monde qui faisait à nouveau place à la dignité et au progrès de l’homme, ils ont, bien souvent trop humblement, considéré qu’ils avaient fait leur devoir. Sur la plaque devant laquelle nous allons nous recueillir tout à l’heure sont inscrits les noms de ceux dont la vie a dramatiquement été fauchée par la tyrannie. Par notre recueillement, par nos pensées, mais aussi par nos actions, nous nous engagerons à leur être fidèles.

Je voudrais, au nom de la génération qui nous a précédés avec courage et vaillance, mais aussi en notre nom à tous, qui sommes attachés à garder ce lien indéfectible tracé dans un destin commun, je voudrais dire notre plus profonde gratitude et reconnaissance à l’université de Clermont-Ferrand et aux auvergnats. Vous étiez, nous étions des réfugiés, des migrants. Ils nous ont ouvert leurs bras. Sachons nous en souvenir aujourd’hui, sachons suivre leur exemple. Ce matin même nos collègues de Clermont-Ferrand organisent à l’Université Blaise Pascal un moment du souvenir qui unit nos deux communautés. Cette tradition partagée est aussi un magnifique symbole de ce qui nous unit pour toujours dans une histoire commune et des valeurs partagées. Et je voudrais aussi dire notre gratitude à tous les universitaires du monde entier qui, depuis le 13 novembre, nous ont écrit pour manifester leur solidarité et leur compassion, se sont recueillis en masse sur leur campus, et y ont chanté la Marseillaise pour dire leur attachement à ces mêmes valeurs qui nous unissent, aux delà des frontières.

Marc Bloch nous l’avait dit, nous devons chercher la vérité, et surtout pas la vengeance. Aujourd’hui, comme hier, les exemples de nos aînés nous disent que c’est l’engagement, la résistance, et l’intelligence qui sont nos armes, nos seules armes !

Puisse donc ce moment partagé, ce moment plus que jamais indispensable de souvenir et d’émotion, puisse-t-il rappeler à chacune et à chacun d’entre nous la richesse de notre histoire, les fondements de nos missions, la force et l’absolue nécessité de nos engagements.

Je vous remercie.


Alain Beretz

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