Lucien Braun laissera aux générations futures l’image d’une carrière exemplaire, par son engagement au service de la communauté universitaire, par la pénétration de son travail philosophique, et par l’œuvre de mémoire qu’il n’a cessé de cultiver. Ce sont ces trois aspects qu’il faut succinctement rappeler ici, jusqu’à temps que les circonstances redevenues normales permettent de lui rendre l’hommage qu’il se doit.
Lucien Braun a eu beaucoup plus qu’une brillante carrière universitaire, il a eu une vie d’engagement au service de l’Université de Strasbourg. Tout a commencé à Clermont-Ferrand, où il a suivi l’enseignement de Georges Canguilhem (1904-1995), maître de conférences en philosophie de la biologie, et délégué régional du mouvement Libération Sud. Lucien Braun a trouvé en la personne de Georges Canguilhem un maître à penser et un maître de vie, auquel il restera lié bien après la guerre1. Outre qu’il a trouvé là une formation intellectuelle exigeante et solide, Lucien Braun s’est forgé, au cœur de ces années sombres, une certaine idée de l’Université. Cette université – idéale, peut-être, mais nullement utopique – n’est pas simplement la mise en commun des savoirs et le partage des connaissances : c’est d’abord une communauté humaine, vivante, résiliente, qui donne à chacun de ses membres plus de force qu’eux-mêmes ne lui en apportent (en somme, l’inverse exact du capitalisme). C’est une certaine conception, humaniste, de l’Université – humaniste au sens précis que pouvait avoir ce terme pour ceux qui avaient étudié Kant avec Canguilhem, et qui avaient traversé les épreuves de la guerre.